L’explosion de la bulle Internet et du numérique, ces dix dernières années, a permis l’avènement d’une nouvelle manière de penser notre identité. Elle est désormais digitale, dématérialisée, et n’importe quel féru d’informatique à l’autre bout du monde a accès à un cryptage de données résumant notre vie, en quelques lignes. L’identité numérique est un concept virtuel devenu très concret, en partie du fait d’une présence de plus en plus accrue des réseaux sociaux dans nos vies. Nous ne sommes plus qu’à quelques pas d’un trafic à plus large échelle qui verra tout un chacun réduit à sa propre représentation sur la toile : une entité, ni plus ni moins.
L’identité numérique, c’est quoi ?
Tout le monde possède une identité digitale, même ceux, au final, qui n’ont jamais glissé le doigt sur un clavier d’ordinateur. Car ce type de représentation dépasse l’espace du Web en tant que tel. Il en existe trois formes : la première, c’est tout simplement la transmission de toute donnée personnelle à un espace dématérialisé, qu’il soit sur Internet ou non. Vous vous pensez protégé ? Il suffit de mettre à jour votre carte d’identité, ou de prendre une carte de transport ou, par exemple, d’accepter une carte de fidélité en grande surface, pour offrir à un organe tiers des informations vous concernant. A ce stade, on n’est tout de même encore loin de Big Brother. Mais l’identité est construite par une répartition aléatoire de bouts de données aux quatre coins du pays, si ce n’est de la planète. Le deuxième type d’identité concerne directement l’activité consciente sur la toile. En étant par exemple présent sur différents réseaux, en tenant un site Web, en affirmant sa personnalité, ses pensées, ses propos, vous créez vous-mêmes un avatar de vous-mêmes qui prendra une vraie consistance sur le réseau. La dernière forme d’identité est la plus intrusive puisqu’elle concerne la calcul plus ou moins précis de vos activités en ligne dans une finalité commerciale pure. Faites une recherche sur un magasin de vente en ligne et, en quelques minutes, des pop-ups et autres publicités agressives viennent vous proposer un modèle de Timberland auquel vous n’aviez pas pensé lors de votre achat. Quoi que vous fassiez, vos empreintes digitales sont partout : toute activité, même minime, est enregistrée et construit, malgré vous, une silhouette totalement digitale.
Chacun peut tenter de limiter au mieux la transmission des données. Roberto Casati, fervent anti-numérique, proposait de faire de fausses recherches sur Google, sur les sites de ventes, sur YouTube et d’autres réseaux sociaux, pour tromper les navigateurs personnalisant la publicité (Contre le colonialisme numérique, chez Albin Michel). On rétorquera que cela n’a à terme qu’une finalité réduite : certes, les pubs ne sont plus ciblées sur vos centres d’intérêt, mais elles sont toujours bien présentes. Car cette identité dématérialisée nous suit partout, et d’abord sur les médias sociaux : l’utilisateur se place au centre d’une cartographie complexe et mondiale, à l’intérieur de laquelle il développe un microcosme par centre d’intérêt, par regroupement de communauté.
Toute activité commerciale transmet évidemment des bouts de vie à cet espace digital : carte de crédit, adresse postale et électronique, téléphone, autant de données obligatoires à renseigner lors d’un achat. Et c’est sans parler des téléchargements, qu’ils soient légaux ou non, des appels via Skype, et toute activité connectée sur smartphone : WhatsApp, les réseaux de rencontre, les jeux bien évidemment et, de manière générale, tout ce qui exige une géolocalisation. La liste est longue !
Une identité numérique, ça coûte cher
Si elle est si riche, pourquoi ne pas vendre cette présence en ligne à un tiers ? C’est en tout cas la question que s’est posée il y a quelques temps Kevin Brouillaud. Cet étudiant de 22 ans est passé par eBay pour vendre son identité. Le prix : 20 000 euros. Rien que ça. Entre temps, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a condamné Google à 150 000 euros pour non respect de la politique de confidentialité.
Il n’en reste pas moins que le jeune homme a lancé un concept. Oui, une identité digitale peut être concrètement mise en vente. Mais comment la calculer ? On peut avoir un aperçu de sa propre valeur en fonction de la qualité des informations transmises et l’exigence de référencement. Tapez votre nom sur Google, cherchez-vous. Définissez votre influence sur les réseaux sociaux : avez-vous beaucoup d’amis sur Facebook ? Quel type de photos avez-vous envoyé aux serveurs ? Inutile de les enlever, elles ont été enregistrées : la trace existe toujours.
Si vous souhaitez réellement savoir combien vaut votre identité, plusieurs sites Internet proposent des modes de calcul : le Financial Time vous permet de connaître votre prix en entrant différentes données concernant la famille et la santé, la démographie, le train de vie, les avoirs immobiliers et la consommation. D’autres sites proposent de mesurer la qualité de votre présence sur le Web, tels que Youseemii. My.idnum.net, lui, invite à remplir une grille de questions pour établir la valeur de votre identité professionnelle. Avec ce type de réseau, on est à mi-chemin entre le ludique et le sérieux. Pas au point de vendre concrètement son identité. Mais le cas de Kevin Brouillaud change la donne et, à ce stade, on se dit que 20 000 euros, ce n’est pas cher payé pour transmettre une partie de soi à un inconnu.
Pour un peu, on aurait presque l’impression de vendre son âme au diable. Et, en dehors de l’aspect romanesque de l’image, on n’est pas forcément si loin de la vérité. Le voilà, Big Brother, avec ses grosses mains musclées. Car ces données, si elles représentent un intérêt assez superflu pour l’utilisateur, ont une valeur d’exception pour nombre d’entreprises. Aujourd’hui, vendre et acheter des données numériques, c’est en effet un véritable business. Sur Facebook, on peut gagner des sous en likant les pages de certaines sociétés. Côté british, la startup Allow appréhende des internautes pour vendre leurs données à ses entreprises partenaires. L’internaute, lui, touche 60% des gains. Monstrueux. Comme quoi, l’adage a toujours raison : tout se vend. Absolument tout.
Vers le trafic illégal des identités numériques
Personne n’est protégé. Après tout, la NSA (Agence nationale de la sécurité), aux Etats-Unis, s’est à plusieurs reprises retrouvées dans des polémiques liées au non-respect des données privées car, tout simplement, elle a accès à tout. Et il suffit à un geek un peu doué en informatique pour accéder aux Deep Web, Darknet et tout autre réseau secret et parallèle à Internet : des espace sans limite où le pire et le meilleur se côtoient, et où certaines de nos données se promèneraient aléatoirement. Alors, forcément, on pense directement aux pires malfrats de la toile, ce Web criminel à faire trembler tout internaute un peu sensé. Les réseaux mafieux en profitent directement : quoi de plus simple pour glaner des informations sur une victime potentielle ? Retour direct au Parrain, mais en version 2.0 !
Et, de toute manière, cela fait de nombreuses années que l’on sait que hacker des données n’est pas tellement compliqué. Il suffit de voir les interventions de sensibilisation à travers le monde des Anonymous, derrière leur masque de Guy Fawkes. On sait aussi qu’il est très simple de hacker une messagerie, un compte Facebook, un Cloud, et même un compte en ligne, malgré l’acharnement des sociétés à vouloir protéger l’accès à nos comptes. Et même sur smartphone, rien n’est sécurisé : tout récemment certains utilisateurs d’Androïd on vu leur mobile hacké par simple réception d’un MMS, sans même l’avoir lu. Choc : toute notre vie numérique est placée sur un plateau d’argent, à disposition des pires malfaiteurs. Mais a quoi peuvent bien servir ces informations ? Tout simplement à faire un bénéfice en vendant cette identité à des sociétés secrètes, sur le marché noir. On revient directement au Dark Web, ce « Web profond », véritable bas-fond dématérialisé aux ruelles en forme de coupe-gorge.
Est-il possible de protéger son identité ?
Cette réalité donne le vertige. Mais il ne faut pas sauter dans le vide non plus. Il est possible de sécuriser ses informations, jusqu’à un certain point en tout cas. Dès que vous renseignez volontairement des données via votre ordinateur, tablette ou smartphone, pensez à vérifier la fiabilité des entreprises : on aura par exemple confiance en Amazon, même si leur démarche publicitaire est plutôt agressive. Et le train est en marche : aux Etats-Unis, un projet de do-not-call adapté à nos avatars numériques est actuellement en réflexion.
Malgré tout, il est impossible de se protéger totalement face au hacking ou, à moindre échelle, à la transmission des données. Quoi que vous fassiez, et même en limitant votre présence sur le Web, vous vous retrouverez toujours dans une position vulnérable face à l’immense réseau d’échange d’informations.
L’idéal reste d’accepter cette réalité et d’apprendre à la déjouer pour mettre en valeur vos informations. Il existe de nombreux sites qui permettent de vérifier la qualité de notre identité sur le Web. Les marchands et autres autoentrepreneurs le savent : il est nécessaire de comprendre cette présence afin de la soigner et d’en faire une valeur ajoutée. Des outils tels que Socialmention brand monitoring tool ou Corporama vous offrent un listing de ce qui se dit sur vous sur la Toile. Très utile pour les professionnels. Certains sites, tels que Klout, permettent d’évaluer votre valeur sur Internet en vous attribuant une note de 0 à 100. C’est à vous ensuite de trouver les solutions pour faire grandir votre réputation : acheter des likes pour votre page Facebook, être présent sur les forums de discussion afin de faire de la publicité pour votre site Web, etc.
Pour contrer les publicités le mieux possible, il est nécessaire d’installer un bon navigateur Web : exit donc Internet Explorer, place à Mozilla Firefox et Google Chrome. En ajoutant l’extension Adblock à ce dernier, vous bloquerez de nombreux pop-ups intempestifs. Il faut également fréquemment nettoyer vos pas sur le Web en effaçant les données de navigation, et éviter ainsi de multiples cookies.
Vous pourrez alors soigner votre identité numérique. Néanmoins, vos traces seront toujours présentes à un certain niveau. Rien que de notre côté, chez Bonjour Demain, on est persuadé d’être en ce moment lu par la NSA. Ça fait trembler.